Cent Phrases pour éventails | Paul Claudel (extraits)
黄蓓 (HUANG Bei)
« Tu / m’appelles la Rose dit la Rose mais si tu savais mon vrai nom je m’effeuillerais aussitôt » : Cent Phrases pour éventails de Paul Claudel est un recueil qui célèbre la « rose », et son « nom ». La « rose » n’est pas seulement la rose : en elle s’incarne toute beauté fragile qui ne dure qu’une saison. Et le « nom » est plus qu’un nom : il est proféré par le poète, et tracé, ici, par sa main propre avec un pinceau trempé dans l’encre noire. Ce faisant, le poète se transforme en créateur : il ressuscite, sur le papier blanc, des choses du monde.
Pour remplir ce programme poétique, Paul Claudel fait appel à deux ressources extrême-orientales : le haïku japonais et l’idéogramme chinois. Le premier fixe, en un éclair, la fugitive beauté du monde, tandis que le second se présente comme un signe qui « est la chose tout entière qu’il signifie » (Claudel, « Religion du signe », Connaissance de l’Est). Sont nés alors des « idéogrammes occidentaux », baptisés ainsi par Claudel pour désigner les mots alphabétiques dont la forme graphique pourrait, dans un imaginaire du signe, révéler l’essence de la chose signifiée. Est « idéogramme » un mot dans son unité, composé de lettres successives dont chacune fonctionne comme une composante sémantique ayant sa valeur propre. Le poète intervient dans la forme calligraphiée et dans l’espace : il coupe le mot, brouille la frontière entre les unités linguistiques, joue sur les interstices, afin de transformer le temps en espace, le poème en un tableau.
Une poésie visuelle : voilà tout le défi pour la traduction ! Si celle-ci peut rendre, au niveau du signifié, l’image de l’éphémère, au niveau du signifiant, la restitution est quasi impossible. C’est là où se trouve l’« intraduisibilité » propre à ces poèmes de Claudel, qui s’inspire pourtant de l’écriture chinoise, en lui rendant hommage, par ailleurs, par des titres idéographiques. Tout le jeu spatial de Cent Phrases pour éventails repose en effet sur la succesion des lettres – linéarité du temps – avant que celle-ci ne soit transcendée par l’espace simultané. Le caractère chinois, quant à lui, est au contraire une unité linguistique inséparable. Le poème, dans sa version chinoise, prend inévitablement une forme visuelle différente. La traductrice tente cependant de créer une autre respiration au sein du poème spatial, en suivant l’art de l’interstice bien que celui-ci ne se pratique pas de la même manière, afin de rendre, à l’échelle du poème-tableau, l’effet du « souffle » – car c’est bien le sens de l’« éventail » ici, dans sa dimension spirituelle.