Baudelaire et les traditions poétiques
Organisateurs :
Aurélia CERVONI | Henri SCEPI | Andrea SCHELLINO
Jeudi 18 novembre 2021 | 9h00-18h00
Vendredi 19 novembre 2021 | 9h00-13h00
Samedi 20 novembre 2021 | 9h30-18h00
Souvent célébré – à tort – comme le chantre de la modernité, Baudelaire semble se tenir à l’écart des ruptures. Les choix esthétiques qui sont les siens, des Fleurs du Mal au Spleen de Paris, ne sont pas la proclamation retentissante d’un aggiornamento poétique. Ils visent au contraire à réinscrire une démarche créatrice – et les conditions de l’invention formelle qui l’accompagne, de la permanence du vers à la promotion du poème en prose – dans une continuité sensible et vivante, toujours réfléchie. L’incipit de la poésie nouvelle s’écrit à la lumière, tamisée ou oblique, des textes anciens. Plus que jamais pour Baudelaire le poème est le langage qui se souvient, le verbe qui n’est oublieux de rien et qui ne s’aveugle pas aux mirages du présent. Il est une mémoire active, qui recueille pour mieux inventer.
C’est pourquoi la question des traditions poétiques est si essentielle dès lors qu’on s’attache à situer Baudelaire dans l’histoire de la poésie française de la seconde moitié du XIXe siècle. Elle permet d’évaluer à nouveaux frais les liens de contiguïté ou de parenté plus nettement revendiquée avec tel ou tel courant de la poésie des siècles passés que Baudelaire s’emploie à perpétuer en les revivifiant. Car loin de se réduire à une répétition du même, la tradition ainsi conçue apparaît comme la remise en œuvre dynamique et créatrice des filiations et des modèles, la réexploration passionnée des génies et des œuvres. Elle s’ouvre moins à la recollection des formes du passé qu’au processus actuel par lequel elle féconde le présent de l’écriture. De là découle une historicité particulière qui confère à la poésie de Baudelaire – en vers ou en prose – aussi bien qu’à ses écrits critiques d’ailleurs, une portée réflexive qui en fait tout le prix. La conscience de soi de la poésie ne va pas sans ces jeux d’ombre et de lumière qui donnent à l’écriture son modelé et qui, par là, assurent sa continuité dans le vaste mouvement de la création, qui est comme « un écho redit par mille labyrinthes ».
Le propos du colloque « Baudelaire et les traditions poétiques » sera donc d’examiner les formes diverses que prend l’incessant dialogue que le poète noue avec les héritages poétiques et artistiques, non seulement pour en mesurer l’incidence et en apprécier l’exacte teneur, mais aussi pour mieux comprendre les partages et les exclusives qui peuvent toujours en résulter.
Nous nous proposons, tout d’abord, de reconsidérer les liens de Baudelaire avec les traditions dont il revendique l’héritage ou dont il prétend se détacher. Comment les reprend-il à son compte, en les revivifiant ? Comment s’en éloigne-t-il ? Comment le métissage des traditions s’opère-t-il dans Les Fleurs du Mal et dans Le Spleen de Paris ? Comment le travail poétique devient-il, sous la plume de Baudelaire, le creuset de formes nouvelles ? Comment Baudelaire se situe-t-il lui-même dans l’histoire de la poésie et quelle place y occupe-t-il ? Comment a-t-il construit – avec la part de fiction que cela suppose –, sa propre généalogie poétique ?
Plusieurs pistes de réflexion se dégagent.
Baudelaire est un héritier de la tradition « orphique », qui passe par Virgile et par Dante et se renouvelle à l’âge romantique, et qui conçoit le poète comme un mage (vates), vainqueur des enfers, inspiré par les dieux. Sensible aux « correspondances », qui relient le monde matériel et le monde spirituel, il a pu être influencé par la poésie religieuse et par les formes poétiques héritées de la Bible (cantiques, litanies, etc.).
Imprégné de poésie latine dès son jeune âge, lecteur de Virgile et de Lucain, l’auteur de Franciscæ meæ laudes avouait volontiers aussi son attirance pour le latin de la décadence et le latin d’Église. Baudelaire participe en profondeur du mythe de la latinité répandu en son temps, et insère cette mémoire classique au cœur de sa poétique, jusqu’à associer prosodie française et prosodie latine.
Dans L’Œuvre et la vie d’Eugène Delacroix (1863), Baudelaire se décrit comme un poète, « d’une nature toujours orageuse et vibrante, qu’un vers de Malherbe, symétrique et carré de mélodie, jette dans de longues extases ». S’il s’inscrit, par son lyrisme idéaliste, dans la lignée pétrarquiste, dans le fin’amor et dans le prolongement de la Pléiade, son goût du bizarre le rapproche de la tradition baroque. Grand lecteur de Shakespeare, et des poètes français des XVIe et XVIIe siècles (Théophile de Viau, Maynard, Mathurin Régnier, Agrippa d’Aubigné, Saint-Amant, etc.), dont il admirait l’irrévérence et l’expressivité, il fait du sonnet l’une de ses formes de prédilection. Comment Baudelaire s’approprie-t-il les grands motifs de la poésie baroque : la belle dame noire et la belle dame morte, Circé et le paon, le tempus fugit et le memento mori, les blasons et contre-blasons ?
Figure emblématique du « second romantisme », Baudelaire est dépositaire de l’héritage des poètes romantiques anglais (Byron, Coleridge, Wordsworth…) et allemands (Goethe, Bürger et la chanson de Lénore…), qui ont eux-mêmes influencé le romantisme français. Quelle est sa dette à leur égard ? Comment Baudelaire se situe-t-il par rapport à quelques figures fondatrices du romantisme : Byron, Goethe, Coleridge, Lamartine, Victor Hugo ?
Les Fleurs du Mal portent encore l’empreinte d’autres traditions, dont nous voudrions explorer les résonances thématiques et formelles : l’éloquence antique et la satire ; la poésie épique (les références à Homère, en particulier dans Le Voyage, qui est une variation sur le motif de l’odyssée, la référence aux Tragiques d’Agrippa d’Aubigné) ; la veine exotique, dans le sillage de Parny et des Orientales de Victor Hugo, illustrée par Leconte de Lisle et Auguste Lacaussade.
Programme
JEUDI 18 NOVEMBRE 2021
à l’Institut d’études avancées de Paris
(17, quai d’Anjou)
Matinée, 9h00-12h30, sous la présidence d’Henri Scepi
9h00 | Accueil des participants
9h30 | Ouverture, par Aurélia Cervoni, Henri Scepi et Andrea Schellino
10h00 | Karin Westerwelle – Baudelaire et la poésie de la Renaissance
10h20 | Barbara Bohac – Les Fleurs du Mal à la lumière des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné
10h40 | François Vanoosthuyse – Le romantisme en héritage
11h00 | Discussion et pause
Après-midi, 14h30-18h00, sous la présidence de Jean-Luc Steinmetz
14h30 | Filip Kekus – La fantaisie dans la pensée esthétique et poétique de Baudelaire
14h50 | Corinne Bayle – Les images rêvées : la réinvention baudelairienne du poème-ekphrasis
15h10 | Discussion et pause
16h00 | Dominique Dupart – La circonstance lyrique en question : Sainte-Beuve et Baudelaire à propos de Pierre Dupont
16h20 | Olivier Bivort – Des notices littéraires aux réflexions sur les contemporains : autour des Poëtes français d’Eugène Crépet
16h40 | Jean-Christophe Cavallin – Mètre et mélancolie. La condition du poète moderne
17h00 | Discussion
VENDREDI 19 NOVEMBRE 2021
au Grand amphithéâtre de l’Institut du monde anglophone
(5, rue de l’École de médecine)
Matinée, 9h00-13h00, sous la présidence d’André Guyaux
9h00 | Alain Vaillant – Baudelaire, artiste de la latinité profonde
9h20 | François Lallier – Baudelaire / Virgile : Andromaque et les « vastes portiques »
9h40 | Esther Pinon – Baudelaire et la tradition du dialogue, du chant amébée à la tradition romantique
10h00 | Discussion et pause
10h50 | Hugues Marchal – « Le plus raisonnable serait de supprimer radicalement » : (quasi) silence sur la poésie des secondes Lumières
11h10 | Jean-Christophe Abramovici – Baudelaire et la tradition des parnasses satyriques
11h30 | Jean-Michel Gouvard – Baudelaire et le poème en prose : entre tradition et modernité
11h50 | Discussion
SAMEDI 20 NOVEMBRE 2021
à la Bibliothèque nationale de France, site Tolbiac, Petit auditorium
Matinée, 9h30-12h30, sous la présidence d’Aurélia Cervoni et Andrea Schellino
9h30 | Jean-Marc Chatelain – Présentation de l’exposition « Baudelaire, la modernité mélancolique »
10h00 | Kazuya Tsukiyama – Baudelaire et la tradition du pittoresque
10h20 | Julien Zanetta – Du sonnet comme compte rendu : les traditions poétiques de la critique d’art
10h40 | Raisa Rexer – Nu photographique, nu poétique : la métaphore et le corps moderne chez Baudelaire
11h00 | Discussion et pause
11h50 | Marisa Verna – « Un système est une espèce de damnation » : la tradition Baudelaire
12h10 | Jean-Pierre Bertrand – Baudelaire influencé et influenceur
12h30 | Discussion
Après-midi, 14h30-18h00, sous la présidence d’Olivier Bivort
14h30 | Aurélie Foglia – Baudelaire, « complètement dégoûté de la littérature »
14h50 | Adrien Cavallaro – Baudelaire moraliste désagréable. Remarques sur les maximes du Spleen de Paris
15h10 | Federica Locatelli – Arracher la lune du ciel : Baudelaire et le mythe de la femme lunaire
15h30 | Discussion et pause
16h20 | Laura Santone – Une « ressemblance intime » : Baudelaire traducteur de Poe
16h40 | John E. Jackson – Baudelaire et la dialectique de l’horreur
17h00 | Discussion et clôture