Du spirituel et du matériel dans l’art chez Kandinsky :
Edition – Traductions – Relectures des inédits 1914-1921
Porteuse du projet :
Nadia Podzemskaia (ITEM, CNRS-ENS)
On dit qu’il n’est pas nécessaire et qu’il est même dangereux en art d’avoir de l’intuition. C’est le point de vue de quelques peintres jeunes qui poussent jusqu’à l’absurde le point de vue matérialiste. Ce sont des purs au point de vue révolut[ionnaire] qui pensent que la fin de la peinture est publique, que ch[aque] objet d’art qui ne peut servir à rien est bourgeois, que la période de l’art pur est révolue. C’est curieux que moi, qui suis contre ce point de vue, aie été le premier à faire des tasses.
Kandinsky à Charles-André Julien le 10 juillet 1921 à Moscou
Le projet porte sur le moment crucial de l’itinéraire de Vassily Kandinsky quand le déclenchement de la première guerre mondiale l’oblige à rentrer en Russie où il restera jusqu’en 1921. Il vit alors à la première personne des événements historiques majeurs qui vont avoir des conséquences déterminantes sur l’ensemble de sa vie et de son œuvre. On ne sait pourtant que peu de choses sur ce qu’il a précsisement fait dans la Russie postrévolutionnaire, sur ses prises de position, sur le programme théorique qu’il a élaboré en collaboration avec les intellectuels majeurs de son époque.
Ces incertitudes peuvent cependant être dissipées. Les réponses se trouvent dans le corpus des manuscrits de 1914-1921, inconnus jusqu’à ce jour. Y figurent le dossier inédit bilingue russe/allemand de 1914 intitulé Du matériel dans l’art et différents textes russes de la période 1918-1921, jusqu’à ce jour inconnus.
Dans tous ces textes, d’une façon ou d’une autre, Kandinsky revoit les notions fondamentales de sa théorie de l’art : abstrait / spirituel / matériel et, prenant appui sur le dialogue interdisciplinaire qu’il a engagé à Moscou, il pose les fondements d’une nouvelle science de l’art « synthétique » qui sera à la base de son enseignement au Bauhaus. Cette donnée, jusqu’à ce jour, n’a jamais été relevée.
Dans ce corpus de textes se trouvent des clés de lecture qui remettent en cause les idées acquises, à savoir que, dans la réflexion sur l’art de Kandinsky, il n’y aurait pas de continuité entre la période d’avant la Grande guerre et celle du Bauhaus. Ces données nouvelles ont des conséquences majeures : elles imposent une relecture de toute l’histoire de l’art abstrait, de son évolution, de ses différentes actualisations, mais aussi une réflexion phénoménologique et herméneutique nouvelle, autrefois initiée par des figures d’autorité comme Alexandre Kojève ou Michel Henry. Mais, le plus important, peut-être, est que ces nouveaux documents donnent la juste mesure de la stature de l’artiste théoricien qu’a été Kandinsky : ils le montrent se situant au-dessus des clivages idéologiques à un moment clé de l’histoire du XXe siècle et obligent à reconsidérer une question centrale avec multiples sous-questions : quel est le rôle de l’artiste dans une société en crise ?
Les résultats escomptés : une édition commentée des écrits théoriques de Kandinsky des années 1914-21 en français et en allemand ; la traduction en d’autres langues (anglais, italien) ; un travail collectif mené dans des séances de réflexion sur la terminologie artistique et les traductions des écrits d’artiste, dans le cadre du séminaire Décrire la création ; une journée d’études La Couleur chez Kandinsky : ses aspects spirituels et matériels ; une exposition sur Kandinsky artiste et théoricien qui présentera parallèlement les manuscrits, les peintures et les dessins.
Tasse dont le fond porte un dessin abstrait reprenant un croquis de Kandinsky, vers 1921. Porcelaine, peinture polychrome sur glaçure. Musée de l’Académie d’art et d’industrie Stroganov, Moscou