Les bibliothèques-musées en Europe
par Christine BÉNÉVENT (École nationale des chartes / Centre Jean-Mabillon)
18-20 octobre 2023
Ce colloque propose, un an après l’inauguration du nouveau site Richelieu qui a confirmé la double identité, à la fois bibliothèque et musée, de la BnF, d’interroger à nouveaux frais les implications d’une cohabitation qui ne va pas de soi. Ce manque d’évidence peut être lié à des causes historiques, institutionnelles, fonctionnelles ou scientifiques et il convient de les interroger pour évaluer l’originalité des réponses apportées par les institutions aujourd’hui qualifiées de « bibliothèques-musées ».
La Révolution française a en effet opéré un changement de paradigme dans la conception du savoir, de son classement et de l’organisation des collections, en assignant les objets d’art aux musées, les ouvrages manuscrits et imprimés aux bibliothèques et la documentation primaire aux archives. Cette représentation a eu des effets dans la longue durée, au point que les « non-livres » conservés dans les bibliothèques sont souvent regardés aujourd’hui comme des réalités insolites.
La répartition institutionnelle fondée sur la nature des objets révèle pourtant des contradictions. Pendant toute l’époque moderne, bibliothèque et museum sont largement confondus, dans la terminologie comme dans la pratique. Les cabinets réunissent livres et objets participant à l’effort de connaissance, mais aussi vestiges antiques, médailles et inscriptions permettant d’éclairer les textes anciens. Les institutions de savoir « centrales » fondées par les pouvoirs de l’Europe moderne rassemblent, dans une perspective encyclopédique, « tous les savoirs du monde ». Il faudra examiner de près les logiques de cette cohabitation des livres et des objets.
En outre, la Révolution, en dépit du grand partage qu’elle effectue, n’efface pas cet héritage : on se propose d’en suivre les indices jusqu’à nos jours, en examinant sa rémanence dans les institutions contemporaines. On prêtera surtout attention à la vie des collections au sein d’une institution, la bibliothèque, dont la conception évolue. Si les formes de (dé)monstration du livre sont anciennes, la tendance actuelle à la muséification d’une partie des collections, mais aussi de l’espace et de l’« esprit des lieux » est frappante. L’exhibition de la dimension muséale de la bibliothèque réactive un « dialogue des objets » qui avait été invisibilisé. Mais elle est aussi invention d’autre chose.