Paons, dragons et lions ailés
le bestiaire fantastique de l’art oriental,
ses circulations et ses réinventions européennes
(18ème-20ème siècles)
Une date sera proposée ultérieurement
Organisateurs :
Vanessa Alayrac-Fielding (université de Lille)
Laurence Chamlou (université de Reims)
Isabelle Gadoin (CNRS, « Thalim » / université de Poitiers)
L’âge d’or de l’Orientalisme, du dix-huitième au début du vingtième siècle, voit un certain nombre de motifs décoratifs orientaux s’infiltrer dans la culture européenne. Les nombreuses « Grammaires de l’ornement » produites à la suite de l’encyclopédie pionnière d’Owen Jones (1856) privilégient largement les motifs abstraits typiques de l’art islamique, purement géométriques ou d’un naturalisme stylisé ; pourtant, les motifs figuratifs, et notamment animaliers (eux aussi présents jusque dans l’art islamique), saisissent eux aussi l’imaginaire collectif et donnent lieu à de multiples appropriations, réinterprétations et variations – parfois même au mépris de leur histoire. Ainsi, symbolistes et esthètes s’emparent de la figure du paon pour en faire le symbole par excellence du Japonisme, en ignorant sa présence en Chine, en Inde, en Perse ; les sinuosités de l’Art Nouveau se délectent des courbes du dragon, dans l’oubli de ses origines chinoises ; les lions ailés du passé pré-islamique moyen-oriental sont redécouverts à travers les récits de fouilles en Mésopotamie et recréés pour le grand public dans les décors d’expositions nationales ou internationales ; et bien d’autres exemples du bestiaire fantastique oriental pourront être convoqués : phénix, simurgh, griffons, lamassus et autres créatures fabuleuses.
Il ne s’agira pas d’établir un historique de ces motifs ou de suivre le chemin des errances qui les amenèrent en Occident, mais de plonger au cœur de la logique de la réception de l’Orient par l’Occident du dix-huitième siècle au début du vingtième siècle, en analysant la manière dont les motifs figuratifs orientaux devinrent à la fois creusets et agents de transferts esthétiques et culturels, et en étudiant les discours tenus sur ces motifs.
On cherchera ainsi à saisir les modalités de leur appropriation par les cultures européennes, les mécanismes de leur redéfinition ou réinterprétation, et les étapes de leur copie, de leur stylisation ou de leurs déclinaisons nouvelles dans l’art occidental – sans oublier de s’interroger sur les « contresens fertiles » de certaines de ces réappropriations.
On interrogera la plasticité formelle et culturelle particulière à ces motifs (peut-être liée à l’hybridité fondatrice de certains d’entre eux, tels que le lion ailé, mi-félin mi-oiseau, ou le dragon, mi-reptile mi-rapace ?), leur permettant d’être investis de significations changeantes, mais aussi de faire l’objet de nombreux transferts intermédiaux, entre arts du livre, céramiques, textiles, décors architecturaux, etc.
Plus largement, on suivra les tensions culturelles induites, lorsqu’un symbole chargé de signification (que celle-ci soit religieuse, spirituelle, dynastique ou politique) devient simple élément décoratif : sa redéfinition comme ornement est-elle simple perte de sens, ou réinvestissement nouveau ? Et serait-ce le destin d’un motif décoratif que de se voir ainsi constamment redessiné et resémantisé, y compris d’une culture à l’autre ?