Racine en musique
Du 29 septembre au 1er octobre 2022
par Caroline Mounier-Vehier (Translitteræ / PSL)
Qu’a en commun la tragédie classique avec un oratorio biblique de Haendel, une tragédie en musique de Rameau ou de Gluck, un opera seria de Mozart, un opéra tragique de Rossini, une cantate de Britten ou encore un opéra contemporain de Michael Jarrell ? Une œuvre dramatique : celle de Jean Racine (1639-1699), emblématique de la première, hypotexte fécond des seconds. Neuf des douze pièces écrites par Racine entre 1664 et 1691 ont été reprises dans au moins un livret d’opéra depuis le début du XVIIIe siècle. Trois siècles d’histoire de l’opéra et plus largement de la scène musicale peuvent ainsi être parcourus en suivant le fil du théâtre racinien, qui nous invite à traverser de grandes capitales européennes de la musique, de Naples à Londres, Paris, Turin, Milan, Venise, Rome ou Dresde, et à aller à la rencontre de compositeurs aussi connus que Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) ou Gioachino Rossini (1792-1868), mais aussi de musiciens moins célèbres, comme l’Italien Gaetano Latilla (1711-1788) ou le Français Albéric Magnard (1865-1914).
Pourtant, si la place de la musique dans le théâtre de Racine est un champ de recherche déjà connu, avec en premier lieu Esther (1689) et Athalie (1691), les adaptations de son œuvre sur la scène musicale n’ont pas encore fait l’objet d’une étude globale. L’intérêt qu’elles suscitent a été jusqu’ici ponctuel ou associé aux œuvres et aux compositeurs les plus reconnus. Dans cette perspective, Phèdre (1677) est la pièce la plus souvent considérée, ce qui peut s’expliquer par le succès d’Hippolyte et Aricie de Rameau (1683-1764), dont le titre indique la dette envers Racine[3]. Mithridate (1673) doit au prestige de Mozart et de son Mitridate, re di Ponto (1770) plusieurs études. L’inspiration racinienne des oratorios Esther (1718 / 1720 / 1732) et Athalia (1733 / 1735) de Haendel (1685-1759) est elle aussi bien identifiée, même si elle demeure assez peu prise en compte dans l’analyse de ces œuvres. Quant aux opéras les moins connus ou les plus récents, ils sont rarement étudiés d’un point de vue racinien. Il manque encore une étude approfondie de la place et de l’influence de Racine sur la scène musicale, qui englobe l’ensemble des adaptations proposées au fil des siècles, de façon à ouvrir des perspectives plus vastes tout en proposant une analyse de détail exigeante et précise.
Partant de ce constat, le colloque « Racine en musique » propose de réunir des chercheurs de différentes disciplines (musicologie, arts du spectacle, littérature, histoire, histoire de l’art) et des praticiens pour étudier ensemble la place et l’influence de l’œuvre de Racine sur la scène musicale en Europe de la fin du XVIIe siècle à nos jours, en suivant trois axes de réflexion.
Racine et la musique
Quels rapports Racine entretenait-il à la musique et en particulier à la scène lyrique ?
On s’intéressera notamment aux relations de Racine avec les musiciens de son temps, à son rapport conflictuel à l’opéra, en particulier dans le contexte de la querelle d’Alceste, ainsi qu’à ses textes écrits pour être mis en musique, au premier rang desquels les tragédies avec musique (Esther et Athalie).
Circulations, adaptations et mutations du théâtre de Racine sur la scène lyrique
Comment l’œuvre de Racine a-t-elle circulé sur la scène lyrique européenne, que ce soit par le biais de traductions, d’adaptations ou de citations ?
On considèrera l’adaptation des pièces de Racine sur la scène lyrique, qu’elles fassent ou non l’objet d’une traduction préalable. Que reste-t-il de la tragédie racinienne dans les opéras qui en sont adaptés ? Dans quelle mesure nourrit-elle ou au contraire disparaît-elle dans les adaptations qui en sont faites ?
On pourra se demander si l’héritage racinien est revendiqué ou si l’adaptation est plutôt fortuite, occasionnelle, liée à des raisons pragmatiques. Dans cette perspective, il pourra aussi être intéressant de mettre en rapport Racine avec Lully et plus largement la tragédie en musique française, qui peuvent également inspirer les compositeurs européens. Gluck, par exemple, met en musique un livret adapté de Racine avec Iphigénie en Aulide en 1774, mais reprend aussi en 1777 un livret de Quinault, Armide, écrit pour Lully en 1686. Racine n’est pas non plus la seule source française de Mozart, dont l’Idomeneo, re di Creta est composé sur un livret adapté de l’Idoménée écrit en 1712 par Antoine Danchet pour Campra. On pourra ainsi se demander dans quelle mesure Racine contribue à la diffusion d’un modèle français en Europe, peut-être en parallèle d’autres auteurs.
Enfin, on s’intéressera à la traduction, l’adaptation et la mise en musique de l’alexandrin racinien, ainsi qu’aux questions de prosodie qui leur sont associées.
Racine à l’opéra
Quelle fortune pour le théâtre racinien sur la scène d’opéra ?
Au-delà de la seule interprétation des œuvres adaptées de Racine, on pourra prendre en compte les œuvres qui citent Racine, que la citation soit inscrite dans l’œuvre elle-même (comme l’extrait de Phèdre à l’acte 3 d’Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea, par exemple) ou insérée par un interprète (tel l’ajout de la fin de Bérénice en prologue à La clemenza di Tito de Mozart dans la mise en scène de Denis Podalydès). Il s’agira aussi de se demander dans quelle mesure la référence à Racine est identifiée, voire revendiquée par les équipes artistiques et si cette référence nourrit le travail artistique des interprètes ou, éventuellement, l’obstrue. On pourra en complément se poser la question de la pertinence de la référence racinienne pour étudier, interpréter et mettre en scène des opéras, qu’ils soient ou non inspirés de Racine.
Programme
JEUDI 29 SEPTEMBRE 2022
14h00 | Ouverture du colloque
François Delagoutte (dir. Cité de la Voix), Caroline Mounier-Vehier (Translitteræ / PSL, ENS)
14h30 | Thomas Leconte (Centre de Musique Baroque de Versailles)
Racine, la musique et les musiciens
Session 1 : Inspirations raciniennes dans l’Europe du XVIIIe siècle
Modération : Thomas Leconte (Centre de Musique Baroque de Versailles)
16h00 | François Lévy (IHRIM)
Andromaque à Florence : l’Astianatte d’Antonio Salvi pour le Teatro del Pratolino en 1701
16h30 | Jean-Philippe Grosperrin (Université Toulouse Jean Jaurès)
Racine à Berlin (1748-1751). Sur la dramaturgie des opéras Ifigenia in Aulide, Mitridate et Britannico de Leopoldo de Villati et Carl Heinrich Graun
VENDREDI 30 SEPTEMBRE 2022
Session 2 : Représentations et réinterprétations d’Esther et Athalie
Modération : Julia Gros de Gasquet (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)
10h00 | Violaine Anger (Université d’Evry / CERCC)
Racine et le récit : le cas du récit d’Athalie et son influence possible à l’opéra
10h30 | Yseult Martinez (Université d’Angers)
Les héroïnes raciniennes, Haendel et la naissance de l’oratorio anglais
11h00 | Charline Granger (ENS de Lyon)
Athalia de Mendelssohn, ou ce que l’oratorio allemand a fait à la tragédie française
Session 3 : D’une Bérénice à l’autre
Modération : Aude Ameille (Université de Lille)
14h30 | Georges Zaragoza (Université de Bourgogne)
La Bérénice de Magnard : un choix difficile entre Racine et Wagner
15h00 | Julia Gros de Gasquet (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)
Bérénice de Michael Jarrell (Opéra de Paris, 2018) : une réécriture à la lettre
Session 4 : Voix et visages de Phèdre
Modération : Violaine Anger (Université d’Evry)
16h00 | Caroline Mounier-Vehier (Translitteræ, PSL / ENS)
Trajectoires de Phèdre sur la scène lyrique européenne du XVIIIe siècle à nos jours
16h30 | Aude Ameille (Université de Lille)
Racine sur la scène opératique après 1945
17h00 | Ariane Issartel (Université de Strasbourg)
« Qui chante son mal finit par l’enchanter » : à propos de Trézène Mélodies
SAMEDI 1ER OCTOBRE 2022
10h30 |Interpréter Haendel aujourd’hui
Rencontre avec Paolo Zanzu et les élèves de la master class
11h30 | Dire et jouer l’alexandrin de Racine aujourd’hui
Atelier de pratique artistique avec Julia Gros de Gasquet
15h00 | Concert de fin de master class
avec Paolo Zanzu et les élèves de la master class
Pour l’atelier et le concert du samedi, accès libre sur réservation au 03 86 94 84 30.
Captation du colloque (5 vidéos)