Traduire le Traité de l’âme du Šifā’ d’Avicenne
Porteuse du projet :
Meryem Sebti (CNRS - UMR 8230)
Dans son Traité de l’âme, sixième livre de la Physique de son Opus magnum le Livre de la guérison (Kitāb al-Šifā’), Ibn Sīnā (980-1037), connu par les latins sous le nom d’Avicenne, renouvelle en profondeur l’étude de l’âme humaine. Sa conception de l’âme infléchit radicalement la doctrine d’Aristote, selon laquelle l’âme et le corps forment une unité en acte par leur union indissociable concrètement. Selon le philosophe persan, étudier l’âme dans le cadre de la physique, c’est appréhender le vivant en tant qu’il est doté de mouvements, de perception, et dans certains cas de la capacité d’exercer une pensée rationnelle à l’aide de son intellect, c’est-à-dire, d’intelliger. Cette approche ne permet pas de savoir ce qu’est l’âme en elle-même ni de connaître son essence, puisque l’âme rationnelle, est une substance immatérielle et spirituelle dont l’étude relève de la métaphysique (et on a parlé en ce sens de métaphysique de l’âme rationnelle). Le Traité de l’âme du Šifā’ inaugure une synthèse nouvelle qui lit, à la lumière du néoplatonisme, la conception aristotélicienne de l’âme. Sa lecture a accompagné la (re)découverte du Peri Psychēs d’Aristote dont elle a profondément influencé la réception. L’ouvrage a été traduit en latin entre 1150-1152 et 1166 par Avendauth avec l’aide de Dominicus Gundissalinus, à Tolède, où il a été connu sous le nom de Liber de Anima seu Sextus de Naturalibus. La réception des œuvres de psychologie et de médecine d’Avicenne constitue un tournant majeur pour l’histoire de la doctrine de la connaissance dans le monde latin. Elle a pour effet que l’étude de l’âme est désormais replacée dans le cadre encyclopédique du corpus aristotélicien et que la noétique devient une partie intégrante de la physique. Cette réception a pour conséquence qu’au XIIIe siècle, Augustin, qui jusqu’au siècle précédent est l’autorité principale pour ce qui est de la doctrine de la connaissance, sera désormais confiné à la faculté de théologie alors qu’Aristote et Avicenne deviennent les figures centrales de la faculté des arts où l’étude de l’anatomie, de la psychologie et de la noétique sont dès lors indissociablement liées. Ils prennent également une place grandissante à la faculté de théologie.
Meryem Sebti (CNRS- UMR 8230) et Olga Lizzini ( PU, Université de Aix-Marseille) ont entrepris une traduction intégrale du Traité de l’âme du Šifā’. Dans le cadre de ce travail de traduction, elles organisent une série de séminaires à l’ENS (Ulm) pour initier les étudiants à la traduction de ce texte complexe d’Avicenne. Les éditions existantes présentent de nombreux problèmes, et il sera nécessaire de recourir pour certains passages problématiques à des manuscrits ainsi qu’à la traduction latine.